Le patriarche Bartolomée a prononçé un discours devant les évêques réunis à Lourdes hier 4 novembre d'une profondeur et d'une portée remarquables ...
Quelques extraits ( le texte est en intégralité à la fin)
...Trois décennies ont passé depuis notre première visite en ce grand lieu de pèlerinage et l’état de la planète, de notre Terre, a empiré. Les désastres environnementaux, les fossés entre les dominants et les démunis, les conflits armés entre les nations, les guerres civiles et les luttes intestines au sein des peuples, les désordres et les violences au mitan des sociétés, des communautés, des familles n’ont cessé de se multiplier. Oui, l’heure est grave alors que la dignité intrinsèque de chaque personne humaine, les droits de l’homme, le droit international, l’universalisme, tous ces principes étant issus de l’Evangile, se trouvent trop souvent déniés au profit du culte renouvelé de la force brute qui unit le paganisme archaïque et le technicisme moderne.
Au fil du temps, nous avons cependant laissé s’installer une fracture douloureuse : la religion s’est réfugiée dans ses sanctuaires, la science dans ses laboratoires, chacune se méfiant de l’autre. Mais cette séparation n’a jamais été voulue par Dieu. Saint Grégoire de Nysse nous enseigne que la grâce divine « pénètre toute la création ». Il n’existe donc pas de frontière entre le sacré et le profane, entre le spirituel et le matériel : tout est habité par la présence de Dieu. Lorsque les scientifiques observent la fonte des glaciers et que nous méditons sur les gémissements de la création (Rm 8,22), nous lisons le même livre : celui de la sagesse de Dieu inscrite dans le monde. Nous devons aussi reconnaître que nous nous trompons lorsque nous détournons le regard du réel. Pendant la pandémie, certains ont préféré les théories du complot à la vérité scientifique ; d’autres invoquent la souveraineté divine tout en négligeant les conséquences de leurs actions sur le climat. Ce n’est pas là un témoignage de foi, mais un aveuglement spirituel. Nous ne pouvons plus séparer notre prière de nos gestes quotidiens. La surconsommation, la pollution, la destruction des forêts et des mers ne sont pas seulement des drames écologiques : elles révèlent une blessure de l’âme, une crise spirituelle de notre époque.
Nous devons redécouvrir une théologie de l’interconnexion. La santé de la planète et le bien-être des peuples sont inséparables. Nous ne pouvons guérir la terre sans guérir nos relations humaines. La justice environnementale et la justice sociale ne sont pas deux causes distinctes, mais les deux faces d’un même appel : celui de la vie en plénitude. Nous sommes à un carrefour décisif. Serons-nous la génération qui choisit le confort plutôt que la conscience, ou celle qui, unie dans la foi, la science et la solidarité, choisit la transformation plutôt que la destruction ? L’avenir de notre monde dépend de cette réponse — une réponse non seulement écologique, mais profondément spirituelle.
Aussi, en ce jour solennel, permettez-nous de vous confier notre conviction intime : plus que jamais, dans un tel contexte, l’attestation de l’Eglise catholique de France ressort cruciale.
Nous le savons, la crise que traverse notre monde ne se limite pas aux tensions politiques, aux guerres ou aux déséquilibres économiques. Elle plonge plus profondément, dans une blessure spirituelle. L’humanité a oublié son âme. Nous avons perdu le sens du sacré, et avec lui, le sens de la fraternité. Lorsque Dieu disparaît du regard humain, la terre devient un bien à exploiter, l’autre un rival à craindre, et la vie elle-même une marchandise. La rupture avec le Créateur engendre la rupture entre les créatures.