A la fois théologien, philosophe et biologiste, les travaux de cet enseignant-chercheur de l’Université Catholique de Lyon portent sur l’écologie intégrale et le rapport entre théologie, éthique et spiritualité.
S’appuyant sur la science de l’écologie et la vision du Pape François exprimée dans Laudato Si’[1], Fabien Revol rappelle que tous les êtres vivants sont des êtres de relation car ils sont dépendants les uns des autres. En effet, chaque être existe parce qu’il est relié à autre chose. A partir de cette observation, il relaie l’invitation du Pape à nous inspirer du mode de fonctionnement des écosystèmes pour nos sociétés humaines puisque nous sommes, nous aussi, des êtres vivants reliés. Par ailleurs, le théologien considère que la vision chrétienne est pleine de ressources pour changer de regard sur la nature et il souhaite les mettre à disposition de tous. De ce changement de regard découlera, selon lui, la possibilité de la conversion écologique et non la peur de la catastrophe.
Poser un regard d’espérance sur le monde
Même si la peur est une réaction légitime et saine, « agir écologiquement pour éviter la catastrophe, ce n’est pas source d’espérance » résume Fabien Revol. C’est pourquoi nos contemporains vivent mal l’imposition de contraintes visant à modifier leurs comportements. Au contraire, pour fonder une action écologique sur l’espérance, il faut changer de regard sur nous-mêmes et sur la nature. Ainsi, « ne plus voir la nature comme un stock de biens consommables » peut déboucher sur de nouveaux modes de vie respectueux de la bonté propre et intrinsèque des êtres vivants (cf. Laudato Si’ §69).
En effet, le théologien estime que l’espérance passe par le sens de notre engagement : pourquoi est-ce qu’on le fait ? On sait déjà comment mettre en œuvre des modes de vie plus respectueux de la nature, mais on ne les appliquera qu’une fois que l’on sera profondément convaincu qu’il faut le faire. Or, pour s’en convaincre, il faut intégrer que l’on vise un bien et c’est ce bien qui suscite notre espérance. Fabien Revol conclut donc que « l’espérance n’est pas dans le faire mais dans la manière dont on regarde le monde ».
Par ailleurs, le théologien considère Laudato Si’ comme une source d’espérance. Selon lui, ce que veut dire le Pape dans cette encyclique – en s’adressant autant aux croyants qu’aux non-croyants – c’est que l’être humain n’est pas si « pourri » qu’on le croit et qu’il y a assez de bonté en lui pour qu’il change.
Tous liés les uns aux autres
En s’appuyant sur les sciences de l’écologie, le Pape François insiste sur la caractéristique fondamentale des êtres naturels d’être en relation les uns avec les autres. La formule « tout est lié » veut dire que tout ce qui existe dans la nature, existe parce qu’il est relié à autre chose. Cela fait donc partie de l’état naturel des choses que d’être inscrit dans un réseau d’interdépendances. Cette approche permet de comprendre qu’il y a une solidarité ontologique, c’est-à-dire que « si l’autre est altéré, on prend le risque d’être soi-même altéré par le jeu des interactions ».
Or, pour le théologien, l’être humain, étant doté de conscience réfléchie, est celui qui prend conscience de cette solidarité ontologique. En même temps, par la technique et la science, il peut modifier ces jeux d’interactions. Des questions éthiques en découlent inexorablement : « mon action ne va-t-elle pas mettre en péril le réseau d’interactions dans lequel je suis inscrit et dans lequel des tas d’autres d’entités sont inscrites ? ». L’être humain doit donc prendre conscience de sa responsabilité de ne pas détruire – ou celle de modifier à bon escient – tous ces champs de relations. Pour Fabien Revol, c’est cette responsabilité qui exprime la dignité particulière de l’être humain.
L’Homme, menace pour la planète ?
Cependant, au vu des conséquences négatives de l’action humaine sur la planète, certains courants de pensée visent à réduire son impact. Fabien Revol évoque d’abord la vision malthusienne selon laquelle la croissance démographique infinie dans un monde aux ressources limitées conduit nécessairement à une crise où il n’y aura plus assez de ressources pour répondre aux besoins de l’humanité. Cette perspective pragmatique et rationnelle est basée sur la modélisation du rapport entre les différentes ressources. Ainsi, elle soutient que l’impact écologique de l’être humain atteindra une telle force que la planète ne sera plus capable d’assurer la survie de l’espèce humaine.
De nos jours, d’autres conceptions percevant l’être humain comme une menace pour la nature émergent. Les visions bio-centriste et géo-centriste considèrent la vie biologique ou l’équilibre terrestre comme valeur suprême au sein du monde. Ainsi, l’être humain est subordonné à ces valeurs principales et placé au même rang que les autres êtres naturels. Fabien Revol souligne que ces visions antihumanistes sont un effet de la culture scientifique moderne : « du point de vue de la science, il n’y a pas de valeur dans la nature, il n’y a que des quantités mesurables ».
Apparaît enfin une troisième vision, qui n’est pas antihumaniste mais profondément marquée par la déception de l’incapacité de l’être humain à changer. C’est celle que partagent beaucoup d’écologistes scientifiques qui militent sur le terrain depuis des décennies, et qui se fatiguent à force de tirer des sonnettes d’alarme et de ne rien voir changer. Ils finissent par penser que, de toute façon, la société humaine s’effondrera et disparaitra par elle-même.
Ainsi, parler aujourd’hui d’écologie, c’est parler d’emblée de la place de l’Homme sur cette planète. Fabien Revol rappelle que « la planète se passera très bien de nous ». La question qui se pose donc nécessairement est « veut-on continuer à habiter la planète ? Et si oui, comment voulons-nous l’habiter ? ».
Comment en est-on arrivé là ?
Si l’on en croit l’adage, pour savoir où l’on va, il faudrait déjà savoir d’où l’on vient. Le théologien nous rappelle donc que certaines prémices de la crise écologique actuelle apparaissent avec la révolution scientifique de la Renaissance. Dès lors, on étudie la nature en la limitant à une réalité quantifiable et mesurable. C’est un des fondements de la démarche scientifique chez Descartes, pour qui la science sert à nous rendre « comme maître et possesseur de la nature ».
Par ailleurs, l’Église catholique a adhéré à cette philosophie car Descartes proposa une preuve de l’existence de Dieu et justifia l’immortalité de l’âme. Dans le même mouvement, la vision cartésienne fût appliquée au récit de la Genèse (Gn 1,28) en considérant que la vocation de l’Homme était de maîtriser et dominer la nature. Or, c’est cette interprétation que le Pape dénonce dans Laudato Si’ comme étant une vision non-chrétienne de la nature : « S’il est vrai que, parfois, nous les chrétiens avons mal interprété les Écritures, nous devons rejeter aujourd’hui avec force […] une domination absolue sur les autres créatures. Il est important […] de se souvenir qu’ils [les textes bibliques] nous invitent à “cultiver et garder” le jardin du monde (cf. Gn 2, 15). Alors que “cultiver” signifie labourer, défricher ou travailler, “garder” signifie protéger, sauvegarder, préserver, soigner, surveiller.» (Laudato Si’ §67)
Le travail du théologien consiste alors à explorer toutes les représentations et images de la nature issues de la Révélation chrétienne et qui conditionnent nos mentalités pour ensuite orienter nos comportements vis-à-vis de la nature. A partir des ressources du christianisme, il souhaite également ouvrir le dialogue avec d’autres cultures pour penser le rapport humain à la nature.
La biodiversité comme projet divin
Parmi ces ressources, Fabien Revol a évoqué la dimension théologique de la biodiversité. En effet, les chrétiens croient en un Dieu trinitaire, c’est-à-dire un Dieu unique en trois personnes. La relation est donc une caractéristique fondamentale de l’identité divine (cf. Laudato Si’, §240). Or, d’un point de vue biologique, on se rend compte que c’est la mise en relation des êtres vivants entre eux qui fait surgir des caractères nouveaux dans la nature, et donc de la biodiversité. Ainsi, pour le théologien « dire que la biodiversité a une dimension théologique, c’est dire que plus la création est diverse, mieux elle accomplit sa vocation de refléter Dieu ».
Si en théologie chrétienne la biodiversité est un reflet de Dieu, l’Homme est alors appelé à participer à son enrichissement. Cela s’applique à l’agriculture où l’Homme peut être coopérateur ou destructeur de biodiversité. Fabien Revol souligne que l’agriculture industrialisée « travaille à partir du même et de l’identique, et non plus à partir de la différence et de la production de différence ». Elle n’est donc pas source de nouveautés contrairement à une agriculture en harmonie avec les fonctions des écosystèmes. Cependant, le théologien – qui est aussi fils d’agriculteurs – fait la distinction entre un certain modèle d’agriculture et les agriculteurs concernés qui sont souvent « victimes d’un système qui leur impose un mode de fonctionnement ».
Et maintenant, où allons-nous ?
En tant que société humaine, la direction que nous prendrons repose sur le sens de notre engagement et donc sur notre définition du bonheur. A cet égard, Fabien Revol rappelle que « face aux urgences écologiques de notre temps, le travail sur la question du sens ne peut être qu’un travail lent de maturation dans nos cœurs et dans nos mentalités ». Le théologien est conscient de la frustration qui peut en découler et la partage. Cela étant, il perçoit tout de même les frémissements d’une vision du bonheur basée sur la sobriété et la simplicité (cf. Laudato Si’, §223) qui pourrait agir comme un puissant levier.
[1] Pape François, Lettre Encyclique Laudato Si’, sur la sauvegarde de la maison commune, 2015.