Du témoignage à l'élaboration - Fabien Revol*

Pour entrer dans une écologie intégrale, celle du sens et de la Révélation, et pour qu'elle devienne Espérance, Fabien Revol nous donne quelques clefs de compréhension en théologie chrétienne et quelques points d'attention.

PASSER DU TÉMOIGNAGE À L’ÉLABORATION

*FABIEN REVOL, enseignant-chercheur à l’Université catholique de Lyon, titulaire de la Chaire Jean Bastaire

1°) ÉCOLOGIE INTÉGRALE : POUR UNE ÉCOLOGIE DE L’ESPÉRANCE

DU REJET DU CATASTROPHISME  à L’ACCEPTATION LUCIDE ET COURAGEUSE

Il y a une certaine peur, une certaine blessure, de voir le monde démoli investi dans une certaine incohérence, voire une attitude suicidaire de la part de nos contemporains dans notre rapport à notre planète. Ce constat peut faire naître angoisses et anxiété. Nous avons entendu l’acceptation lucide et courageuse de ce qui vient. Nous n’avons pas entendu que du catastrophisme… ce qui rappelle certains textes du pape Benoît XVI, qui note que la crise écologique n’est pas pour rien dans le réveil des chrétiens en ce qui concerne le sens de leur relation à la création. Elle joue un rôle d’avertisseur qui fonctionne comme un appel à la conversion :

« La crise écologique est donc une opportunité historique pour élaborer une réponse collective destinée à convertir le modèle de développement global selon une orientation plus respectueuse de la création et en faveur du développement humain intégral s’inspirant des valeurs propres de la charité dans la vérité » (Message pour la célébration de la Journée mondiale de la paix, Benoît XVI -2010).

LE RÔLE DE L’ESPÉRANCE

Une espérance née de la foi chrétienne : c’est peut-être dans les termes du concile Vatican II qu’on en trouve la meilleure formulation : « Certes nous savons bien qu’il ne sert à rien à l’homme de gagner l’univers s’il vient à se perdre lui-même. Mais l’attente de la nouvelle terre, loin d’affaiblir en nous le souci de cultiver cette terre, doit plutôt le réveiller. Le corps de la famille humaine y grandit qui offre ainsi déjà quelque ébauche du siècle à venir » (Gaudium et spes, n° 39). En d’autres termes, le cœur de la foi chrétienne n’est pas ce qui nous endort mais ce qui nous réveille. Si, dans la foi chrétienne, on prend au sérieux ce que le pape François appelle la Bonne Nouvelle de la création, alors cette grâce qui nous est donnée à travers le mystère de la création vient éveiller en nous le souci, comme le dit ici le Concile, de cultiver cette terre pour réveiller en nous cette conscience de l’action en fonction d’une espérance.

 

2°) ÉCOLOGIE DU SENS ET DE LA RÉVÉLATION

POURQUOI ÉCOLOGIE DU SENS ?

C’est sûr que si l’écologie est vécue comme une écologie punitive, de la contrainte, cela ne va pas faire sens longtemps dans la vie des gens et cela ne va pas porter du fruit dans l’avenir ou dans la durée !

D’où l’intérêt de mettre en avant cette question du sens. Pour nous, chrétiens, cela a à voir avec la Révélation et en particulier la place de Dieu dans le dispositif général de l’écologie intégrale. Cela se passe dans un jeu de relations qui implique bien sûr la personne humaine. Qu’est-ce que l’écologie intégrale sinon une anthropologie, un projet anthropologique, celui de l’habitation de la maison commune ? En d’autres termes, il s’agit pour l’être humain de vivre une vie qui préserve ses conditions d’habitation sur la planète comprise comme maison commune. C’est une question de relation. Le pape François propose quatre relations que j’ai symbolisées par la figure du tétraèdre.

Ces quatre relations fondamentales sont : le rapport à Dieu, le rapport à soi, le rapport aux autres et le rapport aux créatures non humaines, la création tout entière. Et il s’agit d’articuler ces quatre relations pour penser notre habitation du monde, compris comme maison commune. Il s’agit d’ajuster et de rééquilibrer ces quatre relations fondamentales qui sont interconnectées les unes avec les autres.

RÉVÉLATION ET ÉCOLOGIE INTÉGRALE

Le risque pour les chrétiens est de se paganiser et d’oublier le Christ. Quand nous évoquons la terre-mère, en tant que catholiques, nous ne le faisons pas comme les Amérindiens qui ont déifié le monde mais comme saint François d’Assise, le frère universel qui considère la terre-mère comme sa sœur, c’est-à-dire selon son statut de créature. Il n’y a pas de confusion panthéistique dans cela.

 C’est bien le sens du chapitre 2 de Laudato Si’ intitulé « L’Évangile de la création ». Laudato Si’ essaye de relever un défi ; ce que le pape François nous propose à travers ce texte, c’est de comprendre que la sauvegarde de la création est une posture qui découle naturellement de la foi en Jésus Christ ressuscité, de la conversion au Christ.

3°)QUESTIONS THÉOLOGIQUES

ECOLOGIE HUMAINE

Il semble que l’ensemble des réflexions d’hier nous amène à revisiter le thème de la dignité de la personne humaine en articulation avec sa vocation de gardien de la création, de « berger de l’être » pour reprendre une expression de saint Jean Paul II. Ne nous méprenons pas, je le répète ici, l’écologie intégrale est toujours bien un projet de respect de la dignité de la personne humaine et en particulier des plus pauvres puisque l’enjeu est désormais de respecter cette dignité en préservant les conditions même de possibilité d’une vie authentiquement humaine sur la terre, en habitant la terre comme une maison commune.

LE SALUT DE L’HUMANITÉ ?

De quel salut parlons-nous ? Il s’agit de la survie de l’humanité dans des conditions d’habitation de la planète qui permettent non pas une simple survie mais une vie authentiquement humaine. Il n’y a pas à confondre salut de l’humanité au plan de l’histoire du Salut et la protection de l’humanité dans ses conditions d’habitation de la planète. De même, sauvegarde de la création n’est pas synonyme de salut.

BIOMIMÉTISME

 …en vue d’une éthique écologique et de la transformation des comportements. Il faut bien distinguer les choses quand on parle de biomimétisme. C’est pour cela que je n’emploierai pas forcément ce terme pour ce qui concerne la permaculture ou l’idée de regarder les écosystèmes et leurs fonctionnements comme lieux d’orientation, points de repère pour nos modes de vie. Il faut également faire attention à ne pas retomber dans le piège de ce paradigme technocratique que le Pape dénonce dans Laudato Si’. Beaucoup de personnes ont dit des choses très intéressantes, sur lesquelles je suis très enthousiaste : il n’y a pas que la loi de la jungle, la loi du plus fort, il y a la loi de l’entraide, qui elle doit nous inspirer. Il y a ensuite la découverte que les écosystèmes sont porteurs d’une exemplarité qui devrait inspirer les modes de vie de notre humanité : le mutualisme, la symbiose, il n’y a pas que la compétition ; les réseaux de champignon nous montrent qu’en fait on a inventé les allocations familiales et la sécurité sociale avant l’heure. La nature est un modèle d’organisation sociale. Il a été dit hier que nous devions tirer les leçons du vivant.

Mais attention, on ne doit pas tout imiter dans la nature. Au XIXe siècle, le cousin de Darwin, Francis Galton, a créé la société américaine d’eugénisme. Il a pris modèle sur l’évolution, la compétition du vivant pour penser une société fondée sur la compétition et l’élimination des moins aptes. Historiquement, nous avons des signaux d’alarme pour nous dire de faire attention à notre rapport à la nature quand on veut transposer des fonctionnements naturels à des fonctionnements éthiques.

LA QUESTION DU PÉCHÉ ÉCOLOGIQUE

Il y a un ordre de la chasteté à l’égard de toute chose, à l’égard de la création.

Comment faire son examen de conscience maintenant ? Traditionnellement, nous faisons notre examen de conscience en nous posant la question des péchés par rapport à Dieu, par rapport à soi, par rapport aux autres.

Maintenant on a un tétraèdre, avec un quatrième pôle qui est le rapport à la création et aux créatures non humaines. Comment intégrer cela ? Il faudrait bien sûr distinguer péché personnel et péché structurel, mais on va voir que c’est quand même lié. Ce péché contre la création, en quelques mots, passe par une opposition au projet créateur et cela a pour moi cinq dimensions :

  • « Tout est lié » : le péché est ce qui délie et détruit les interactions d’interdépendance
  • Opposition à l’acte créateur lui-même : la mise en interaction par l’énergie spirituelle de l’Esprit créateur, c’est contribuer à de la création et peut-être même à de la création continuée. Pour Teilhard de Chardin, tout ce qui s’oppose ou tout ce qui défait ce travail, ce processus de création, est force d’opposition au projet créateur.
  • Quand l’être humain érode la biodiversité, il contribue à diminuer l’expression de la gloire de Dieu dans la création. Car pour le pape François, qui reprend dans Laudato Si’ saint Thomas d’Aquin et les médiévaux, quelle est la finalité de la création ? Refléter la gloire de Dieu. Plus il y a d’êtres divers dans la création, plus la création reflète la gloire, la bonté, la perfection de Dieu.
  • L’enjeu de l’évangile de la création est de reconnaître la valeur propre et intrinsèque des créatures.

    On a oublié cela pendant trois siècles, tellement on a pensé que les créatures étaient uniquement faites            pour notre utilité. Le pape François donne un éclairage en disant : regardez la création comme Dieu la              regarde.

  • Enfin, il y a la négation de la sagesse immanente du Créateur inscrite dans la création et en particulier son expression dans les fonctionnements écosystémiques : effectivement, accueillir la sagesse du Créateur dans la création ou rejeter cette sagesse en faisant comme si elle n’existait pas, c’est prendre le risque de se couper de Dieu, de son projet créateur. La pollution accomplit au moins l’un de ces quatre aspects. Plus, elle est à l’intérieur de ces cinq points.

Cette question du péché invite à penser la question de la pénitence et de la repentance… notamment peut-être dans nos pratiques liturgiques : comment penser cette pénitence, notamment pendant nos fêtes de la création ?

 

Article publié par Réseau Laudato Si' • Publié le Lundi 06 avril 2020 • 1094 visites

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